Jardin secret d’une personnalité introvertie
si multiple parfois qu’elle en paraîtrait quasi-schizoïde, espace
spirituel presque naïf de regénération virtuelle, mais aussi
terrain d’expérimentation d’une position esthétique
radicale et plus lucide qu’il n’y paraît, le travail d’Icon
Tada, que j’aimerais qualifier de “rétrovirtuel”, constitue
une tentative captivante, en ces temps de pseudo-retour à la “Peinture”,
ce “vrai” travail (et comparé à quelle fausseté,
mon dieu?)…
Icon Tada dessine et peint, sans jamais encore avoir effleuré
le moindre pinceau ou tube d’acrylique, par le seul biais de l’ordinateur
et du dessin vectoriel. Techniquement issues de pures opérations mathématiques
générées par les logiciels utilisés (tels Adobe Illustrator
ou, plus souvent, Macromedia FreeHand), les caractéristiques des images
d’Icon Tada — immatérielles, légères et faciles
à transmettre par les moyens électroniques en n’importe quel
point du monde, immédiatement reproductibles à l’identique,
à l’infini et dans n’importe quelle taille, toujours susceptibles
de modifications diverses et ouvertes au travail collectif, etc. — se retrouvent
souvent à l’opposé de celles qu’on attribue à
la peinture…
Et pourtant, souvent reclus volontaire dans sa chambre des machines d’Osaka,
Icon Tada continue à peindre et s’y tient. Il refuse d’employer
un autre mot (tout juste lui adjoint-il parfois le terme de “numérique”),
comme il refuse souvent de produire le moindre commentaire sur cette face cachée
de son travail. Il se veut résolument et à tout jamais “absent”,
et a choisi de laisser ses œuvres exister par elles seules, à la fois
par choix politique et pour des motifs plus personnels. Rétif, secret et
sauvage, rebelle et ombrageux, solitaire, asocial, Tada préserve pourtant,
à travers ses peintures, donc, et au delà de toute taxinomie trop
normative, quelque chose de l’essence même de cette “Peinture”
autour de laquelle tant d’autres plus validés se sont déjà
agités, si souvent en vain. Il ne s’agit pas pour lui de reprendre
les sujets de la peinture classique et de les traiter informati-quement, mais
plutôt d’ouvrir et de décortiquer un savoir et une pratique,
de dépecer sa “peau”, et “virtualiser son incarnat”,
pour citer un des ses rares propos sur le sujet. Techno-héritières
des marges intimes de l’ukiyo-e, ces estampes commerciales du XIXème
siècle japonais, ces images acidulées aux formes organiques faussement
apaisées distillent finalement une curieuse sauvagerie primitive, sourde
et comme recouverte pour nous, occidentaux, d’un voile d’incompréhension
étrange. Et de nous mener à terme par cette voie spéciale
à des filiations dissimulées, hétéroclites et plus
inattendues que celles qui nous venaient à l’esprit en premier lieu,
telles par exemple Hercule Seghers et les amas cellulaires de ses paysages, Didier
Eberoni et ses écorchés moléculaires, Marcel Duchamp et ses
élevages de poussière, ou encore Bram Van Velde et ses formes innommables…
Ce dernier, cité par Charles Juliet, disait un jour : “Ce que je
peins est en dehors de la peinture”. Il y avait indéniablement du
Japonais en Bram Van Velde.
Anne Lille, Toronto, août 2002